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LE "DEUIL" ET SON EVOLUTION VECUS PAR UNE MAMAN
Introduction
Ce texte est une étude sur ma propre expérience,
étude que j'ai pu réaliser plusieurs années seulement après avoir perdu Lucas.
Il m'a fallu beaucoup de recul pour arriver à faire, objectivement et le plus
sereinement possible ce retour en arrière afin d'analyser toutes les étapes
que moi, mon mari, mes enfants, ma famille, mes amis et les personnes du
milieu médical avons traversé ensemble mais de manière totalement différente
de par notre place et nos responsabilités respectives.
Je sais, pour
avoir reçu divers témoignages de parents "désenfantés", qu'au fil de mes
écrits et à un moment ou un autre de mon analyse, des parents se retrouveront
soit dans mes émotions, mes décisions, mes doutes, mes certitudes
...
Le message que je veux faire passer avant tout est que nous ne
sommes pas seuls au monde à vivre ce drame. Des parents l'ont vécu avant nous
et d'autres le vivront après nous. C'est le regard et l'attitude de la société
face à tous ces parents qui font qu'ils se sentent si abandonnés et oubliés.
Les ignorer, les renier dans la situation de détresse où ils se trouvent est
la plus grande des cruautés et des injustices qui puissent encore leur être
infligées.
La perte d'un enfant reste encore un sujet tabou en France,
pays dans lequel les mentalités et les attitudes sont très longues à évoluer.
A ce jour, on n'en parle principalement et presque uniquement que par le biais
de livres. Rares sont les émissions, tout genre confondu, qui osent présenter
une chronique sur ce thème et s'aventurer dans un domaine aussi dur et
douloureux.
Alors il faut essayer de changer tout cela et pour y
arriver, il faut en parler ... alors je me lance et j'en parle.
La différence entre l'acceptation du décès de l'enfant et "faire le deuil"
La différence pour moi est énorme. Lorsque Lucas est
décédé ... longtemps après (et même encore à l'heure actuelle), j'ai été dans
l'incapacité d'associer le prénom de mon enfant au verbe "décéder" qui, pour
moi, était et reste un verbe bien trop violent et définitif. Lorsque je
parlais de mon bébé, je disais "Lucas est parti" ou "Lucas nous a quitté",
verbes beaucoup plus doux et qui laisse un "je ne sais quoi" de possibilité,
de rêve, d'imagination. L'acceptation du décès a déjà beaucoup de mal à se
faire dans les mots, les paroles ... alors l'admettre psychologiquement relève
de l'impossible immédiatement après le drame, ce n'est que l'absence prolongée
de mon enfant qui m'a fait réaliser qu'il ne reviendrait plus. Et dans les
premiers mois qui ont suivi son départ, je me suis volontairement absentée si
souvent de chez moi pour fuir cette absence que je ne pouvais et ne voulais me
résigner à l'accepter.
Quant à l'expression "faire le deuil" ... elle
me fait frémir. On vous la balance à toutes les sauces dans n'importe quelle
circonstance ! " Il faut arriver à faire le deuil" ... comment voulez-vous que
j'arrive à faire le deuil de mon enfant, je ne le pourrai jamais ! Faire le
deuil, c'est accepter. Comment voulez-vous que j'accepte l'inacceptable !
Les choix qui ont été faits pour la cérémonie religieuse
Même si, depuis le décès de Lucas, j'ai perdu ma foi,
jamais l'idée de ne pas lui faire de cérémonie religieuse ne m'a effleurée. Il
était pour moi un petit Ange et il lui fallait ce rituel solennel pour lui
montrer le chemin et lui ouvrir les portes du Paradis qui
l'attendait.
Pour la cérémonie religieuse, trois de mes meilleures
amies sont venues me voir en me demandant si je voulais préparer quelque chose
de personnel et de particulier pour Lucas, quelque chose qui vienne vraiment
de moi. Sans elles, je n'aurais jamais pensé accomplir une telle réalisation
dans ce sens et c'est grâce à elles si la cérémonie a été si belle et ce
dernier hommage rendu si émouvant et chaleureux. Leur démarche m'a
profondément émue et touchée et l'idée m'a bien évidemment enchantée. J'ai
donc choisi de jolies chansons avec de beaux textes correspondant exactement à
ce que je ressentais et à ce que je voulais dire à mon enfant et à toutes les
personnes présentes dans l'église. J'ai voulu respecter son petit âge et lui
faire quelque chose de tendre, de doux, de délicat ... tout ce qu'est un bébé.
Sans oublier ce poème que
j'ai réussi à écrire au milieu de ma douleur et de mes pleurs, dont j'ai sorti
les paroles de nos 10 mois de vie ensemble et du fond de mes
tripes.
Nous avons pris cette décision, mon mari et moi, de faire
incinérer Lucas. Pour moi, il était hors de question que notre enfant ne
rentre pas avec nous à la maison, seul endroit où il avait vraiment et
toujours été heureux. Et la seule pensée que son petit corps puisse reposer
sous cette terre si froide et impersonnelle m'aurait tuée. Cette résolution
est venue du fond de notre cœur, avec nos convictions et nos certitudes.
Certainement pas objectivement ... sûrement égoïstement ... mais nous n'avons
jamais regretté notre choix.
Nous avons eu aussi à discuter de ce qui
serait le mieux pour nos enfants, à savoir s'il fallait les emmener avec nous
à la cérémonie religieuse ou leur éviter ce traumatisme supplémentaire qui
nous semblait vraiment inutile et tellement inhumain pour eux. Nous n'avons
pas eu à choisir pour notre aîné, il a catégoriquement refusé de venir, nous
avons respecté son choix. Quant à notre fille, nous l'avons jugée bien trop
petite pour subir une telle épreuve.
Le deuil des parents
Il est indéniable que la douleur, la souffrance, le
chagrin, la façon de les vivre et de les exprimer sont très différents des
femmes par rapport aux hommes. C'est bien souvent ces différences qui amènent
des incompréhensions dans le couple, indirectement des reproches généralement
injustifiés, jusqu'à quelquefois provoquer des situations
irréversibles.
Au début, on ne peut vivre son chagrin que seul, chacun
de son côté. Parce qu'il est déjà tellement grand, parce que l'on est pudique
dans sa douleur, parce que l'on ne veut pas rajouter de la souffrance aux
siens en leur montrant la sienne, parce qu'on la vit chacun à sa manière et à
des moments différents.
En tant que maman, j'ai vécu le décès de mon
enfant par des périodes totalement opposées qui, régulièrement,
s'entrecroisaient. Il y avait ces moments où j'avais un besoin vital d'en
parler, d'en parler parfois à l'extrême et d'autres moments où je ressentais
cette nécessité de m'enfermer dans une solitude qui se révélait être terrible
afin de me laisser aller à ce chagrin qui m'étouffait.
Pour le papa,
cela a été une toute autre façon de le vivre, tout du moins de le laisser
voir. Pas de larmes, pas de paroles, rien de visible ... tout restait
intérieur. A la base, il y a déjà ce concept archaïque, à mon avis totalement
dépourvu de fondement et d'humanité disant "qu'un homme ne doit pas pleurer",
concept qui reste bien tenace dans nos mœurs et qui empêche toute
démonstration de chagrin et de douleur pour un homme. Il faut qu'il reste
"digne" quoiqu'il arrive. Cela met donc le père dans une situation
systématique "d'isolement" et de solitude pour laisser libre cours à sa
détresse. C'est pourquoi on a beaucoup de mal à savoir comment un homme se
libère de toute cette souffrance qu'il emmagasine.
J'ai eu énormément
de mal à accepter ce refus du papa de parler, de montrer sa détresse et le
désespoir qu'il vivait, de laisser libre cours à ses sentiments. Je savais
pourtant que sa douleur, celle que l'on porte au plus profond de soi lorsque
l'on perd un enfant, était aussi grande que la mienne ... sans toutefois
arriver à vraiment le comprendre. Il a bien fallu, à un moment ou un autre,
qu'il l'évacue sinon elle aurait fini par l'étouffer ... mais cela ne s'est
jamais fait avec moi.
En conclusion, je dirais qu'il faut admettre le
fait que chacun soit dissemblable dans sa douleur même si cela est dur
certaines fois et accepter les différentes façons de chacun de gérer son
désespoir, son affliction et ne pas en vouloir à son conjoint parce qu'il ne
l'exprime pas de la même façon.
Je pense également qu'un des éléments
essentiels qui a permis à notre couple de rester si uni a été le fait que nous
n'avions aucun motif pouvant nous permettre et nous donner l'occasion de nous
faire des reproches, voire des accusations. Nous ne nous sommes pas retrouvés
comme, par exemple, dans la situation d'un accident où l'un des
parents est directement impliqué.
Le deuil des frère et sœur
J'ai été, en tant que maman, confrontée à des vécus
de "deuil" totalement opposés de mes deux enfants. Pour des adultes, la mort
est déjà très difficile à accepter (voire certaines fois inacceptable) mais
nous savons qu'elle existe ... parce que nous avons grandi, que nous prenons
de l'âge et qu'elle va devenir la conclusion de notre vie. Mais pour de jeunes
enfants, la notion de mort est très souvent inexistante ou imaginaire parce
que encore très lointaine. Alors lorsqu'un enfant perd un petit frère (ou une
petite sœur), il se retrouve confronté à quelque chose qu'il ne connaît pas,
qui touche un des êtres auxquels il tient le plus et dont il est le plus près.
Tout jeune, il fait alors déjà connaissance avec cette notion de "départ
définitif". Et il réalise que la mort ne concerne pas que les personnes plus
âgées que lui. Cela remet donc en question le cycle de la vie normale et il
comprend que lui aussi peut mourir.
Lucas avait un frère et une sœur.
Il est étonnant de voir que j'ai retrouvé le même schéma de pudeur et de
non-dits du sexe masculin chez le frère de Lucas qui avait 13 ans lors du
drame. Il n'a jamais voulu en parler. Il m'a simplement dit une fois que c'était
son chagrin à lui et que de toute
façon en parler ne changerait rien. Je l'ai souvent entendu pleurer dans son
lit, enfoui sous sa couette. J'ai été le consoler simplement en le prenant
dans mes bras ... les mots ne sont pas toujours utiles ... une simple présence
peut apporter tant de réconfort. La sœur de Lucas avait 8 ans et demi et
encore cette innocence de l'enfance qui a fait qu'elle se rappelait les
merveilleux moments qu'elle avait vécus avec lui mais ne pensait pas à tous
ceux qu'elle ne connaîtrait jamais et ne vivrait pas avec son petit frère. Une
nuit où nous étions toutes les deux sous un ciel étoilé, elle a cherché
l'étoile qui brillait le plus et m'a dit que c'était celle de Lucas. Une seule
fois, elle m'a posée la question "pourquoi mon petit frère ?". Que répondre à
cette question que je n'ai pas arrêté de me poser et à laquelle personne n'a
pu me donner de réponse ! D'ailleurs, y en a t'il une ? Elle a eu pendant de
nombreux mois ce réflexe, à chaque fois que quelque chose lui rappelait son
petit frère (que ce soit une chanson, un objet, une situation ou autre), d'en
parler librement et chose très surprenante sans chagrin mais avec un réel
bonheur de continuer à l'intégrer à sa vie. Peut-être était-ce sa façon à elle
de continuer à le faire vivre à ses côtés !
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