Hommage à Nathan

Dans ce genre de cérémonie, il est coutume de rendre hommage au défunt.
Comment rendre hommage à un petit bout de chou qui n'aura vécu … survécu, que trois mois et demi ?
Mais c'est le souhait de Delphine sa maman, alors …
Alors on pourrait rendre hommage à la maman de Nathan pour tout le courage dont elle a fait preuve,
hommage au corps médical qui a tout tenté pour le sauver.

En fait d'hommage, je vous propose simplement d'écouter Nathan.
Il a beaucoup de choses à nous communiquer.
Et il va essayer de les dire, comme il a envie.
En désordre, un peu comme dans la construction de certains films américains que sa maman affectionne particulièrement.

Nathan est d'abord un chrétien, un vrai.
Il a une marraine et un parrain, qui hélas, n'ont eu à exercer leurs responsabilités que durant une quinzaine d'heures.
Nathan a été baptisé dans une salle de réanimation.
Difficile pour le parrain de se concentrer sur les paroles apaisantes du prêtre,
alors qu'il est en train de compter le nombre de fils et de tuyaux qui relient Nathan …
à des machines, des ordinateurs, à des seringues … bref à la vie.
Delphine, qui a eu le courage de maîtriser tout le parcours hospitalier, vous dira : ce jour là 32.

Alors qu'il était intubé, Nathan a été baptisé dans les bras de sa maman.
Il a pu sentir ruisseler sur son front un rare mélange d'eau bénite et de larmes.

Le lendemain Nathan a décidé de quitter cette terre, exactement au même endroit, dans la même position.
Nathan est donc entré dans l'église, et dans les cieux, dans les bras de sa maman.

Alexandra, une de ses merveilleuses infirmières, est formelle : les bébés ont une sorte de sixième sens.
Et même en coma artificiel, Nathan ne serait pas parti sans la présence de sa maman.
Quelle épreuve que celle de voir s'éteindre son enfant.
"mon dieu, je vous en supplie, je ne veux pas qu'il meurt"

Quand on vit un tel drame, on comprend mieux le sens du mot "calvaire".

Alors il faut se souvenir :
Il y a 2000 ans : Marie et Jésus.
Mais plus proche de nous, il y a aussi Madeleine de Ville-Sur-Terre,
qui a eu tant de mal à supporter l'arrêt cardiaque de son fils Pierre.
Mais aussi Madeleine de Lévigny,
qui a dit clairement combien c'était dur pour une mère de mettre en terre son fils Georges, emporté par un cancer.
Et Péla d'Arsonval qui a enterré Hubert.
Et Madeleine de Ville-Sous-La-Ferté qui aura vu partir sa fille Fabienne,
puis sa fille Françoise, puis son arrière petit-fils Nathan.

Et dans tous ces grands moments d'amour, on associera une autre arrière grand-mère,
qui nous a confié être prête à échanger sa mort avec celle de Nathan.

Aujourd'hui, Nathan ne veut plus que sa maman soit triste, comme dit Caroline.
Nathan ne veut plus que sa maman pleure.

"Là où je suis, maintenant, je suis heureux !" dit-il.
Ici tout est cool, ce n'est que du bonheur.
Fini l'alimentation par perfusion et sondes gastriques.
Enfin les gelées cassis-framboise et les tartes aux mirabelles de nos mémés.
Là où je suis, on est entre copains.
On s'est regroupé avec tous les petits qui sont passés par Necker.
Je suis avec Yannis, Jonathan, Romain, Axelle et les autres.
A l'occasion, faites un coucou à Willem mon petit voisin de réa.
J'espère qu'il va s'en sortir.

Ici, on parle peu de nos maladies, de nos malformations, mais plutôt de tout ce qu'on a trouvé beau et généreux.
Le talent de tous les chirurgiens, le mien c'était Daniel Tamisier.
Avec leurs doigts d'or, ils sont capables de recoudre des vaisseaux aussi fins que la pointe d'un stylo à bille,
sur un cœur de la taille d'une reine-claude, avec des fils dix fois plus minces qu'un cheveu, invisible sans une forte loupe …
Et quand le 1er juillet, on a dit au chirurgien "bravo et merci" pour avoir réussi mon opération à cœur ouvert,
il a dit que c'était inutile, qu'il faisait simplement son boulot …

Ce qui est beau aussi, c'est l'attention, et on peut dire tout l'amour, que les médecins et les infirmières donnent aux enfants et à leurs parents.
En chambre, en salle de soins, en réanimation, jusqu'à la salle de repos finale, tout n'est que douceur, tout n'est que tendresse.

On ne dira jamais assez Merci aux docteurs Bertrand Stos, Véronique Abadie, Philippe Hubert, Laurent Dupic,
Christophe Parsy, Jacques Merckx, Philippe Dessemme et Fabrice Lessage.

On ne dira jamais assez Merci à Marie-Lou, à Sophie, Véronique, Alexandra, Martine, Françoise,
Magali et pour mes derniers soins à Mireille.
Mireille, qui avait fait de Nathan son petit Empereur.
Empereur qui, malgré ses petits poings, n'aura pas réussi à gagner les batailles contre ses trop nombreuses maladies.

Mireille qui a dit que j'avais une maman formidable, tellement forte, tellement sincère, tellement courageuse.
Je l'entends encore me dire à l'oreille :
"C'est maman qui est là, mon coeur"
"Je t'aime mon coeur"
Elle m'appelle tout le temps "mon coeur" !
Je ne peux pas vous dire tout ce qu'elle m'a dit, il y a des secrets entre nous.
Et comme on continue à se parler, je vais essayer de l'aider à comprendre, à oublier, à pardonner.

Pardonner à ceux qui se sont trompés lors de mes tout premiers examens.
Pardonner aux optimistes, aux pessimistes, à ceux qui communiquaient trop, à ceux qui ne communiquaient pas assez.
Pardonner à ceux qui disaient que ce bébé n'aurait jamais dû naître.

J'ai entendu maman dire :
"C'est injuste".
Des enfants qui naissent avec toutes ces malformations, il y en a 1 sur 10 000.
Et ça tombe sur moi.
C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de malheurs dans ma famille, et que vous feriez bien de regarder de près mon arbre généalogique.

Oublions,
"là où je suis", on ne pense plus à tout ça.
On respire à plein poumon un air parfumé, et on écoute tout le temps de la musique.
Mozart souvent, et dans de merveilleuses conditions que dans le ventre de ma maman, ou que dans les salles de réanimation.
Vous savez, à cause du bruit des machines, des alarmes, et des pleurs des autres bébés, j'entendais pas bien.

Je me souviens :
- des belles chansons du spectacle de claquettes,
- des chansons de la fête de la musique, le 21 juin à Necker, avec Hélène Ségara et Yannick Noa.
Et ça faisait beaucoup de bruit, le professeur Hubert n'était pas content.

Je me souviens aussi :
- des ritournelles des Beatles,
- des refrains de Alain Souchon qui passait à la radio,
sur le petit poste bleu " Allo maman bobo, comment tu m'as fait, j'suis pas beau " ça m'a fait rigoler.
Mais vous lui direz à Souchon, que pour sa prochaine chanson "Et s'il n'y avait personne", il a tout faux.
C'est pas vrai ce qu'il chante. Il y a quelqu'un derrière le grand portail. Ici, il y a plein de monde.

Et tous en cœur, avec mes copains, on vous dit :
Priez pour nos familles.
Soyez heureux, sur cette terre.

On vous attend,
Mais prenez tout votre temps.

Signé : Nathan
Hommage à Nathan
de la part de Delphine, sa Maman
Retour