Sa naissance
Après une grossesse tout à fait normale qui s'est déroulée dans
les meilleures conditions possibles, avec un suivi médical classique et régulier
entrecoupé d'examens, d'échographies, de monitorings et d'une amniocentèse
(prélèvement de liquide amniotique dans lequel baigne le foetus, afin de
l'analyser pour établir un caryotype et ainsi principalement dépister la
Trisomie 21 -ou mongolisme- ainsi que des anomalies foetales, des malformations
ou maladies héréditaires) proposée systématiquement aux futures mamans de 38 ans
et plus, dont les résultats étaient parfaitement normaux, Lucas est né le
mercredi 18 Novembre 1998 à 7H 00 dans une petite maternité près de chez moi. A la
naissance, c'est un magnifique bébé qui assure un poids de 3 kgs 660 et mesure
53 centimètres. Les premiers jours qui suivirent son arrivée furent merveilleux.
Son frère de 12 ans et sa soeur de 7 ans et demi étaient aux anges devant ce
petit frère qui venait agrandir notre cercle familial.
La terrible nouvelle
C'est le lundi 23 Novembre, veille de notre sortie, que tout se déclenche
brusquement. Lucas (5 jours) ayant une jaunisse bien affirmée, l'auxiliaire de
puériculture qui s'occupe de sa toilette quotidienne demande au pédiatre du
service de venir l'examiner. Celui-ci trouve que Lucas est un peu bleu autour
des lèvres et qu'il est en train de "cyanoser" (manque d'oxygène dans le sang).
N'ayant pas de service de réanimation ni de structures permettant de rapides
examens au sein de l'établissement, le pédiatre contacte l'hôpital dont nous
dépendons en cas de graves problèmes et qui se trouve à environ 25 kilomètres
de la maternité. Tout ceci se passe vers 10H 00.
A 11H 00, une ambulance de l'hôpital arrive avec un
docteur et 2 puéricultrices. Le docteur me confirme la cyanose. Tout va alors
très vite ... trop vite. On m'enlève littéralement Lucas en quelques minutes
après m'avoir fait signer des papiers que je n'ai même pas le temps de lire. On
me dit que le pédiatre qui va s'occuper de lui me téléphonera dès que les
raisons de son état de santé seront connues suite aux divers examens qui vont
lui être faits. Mon bébé part dans une énorme couveuse équipée de bouteilles
d'oxygène. Je contacte aussitôt mon mari à son travail qui me rejoint
immédiatement à la maternité. Quelques heures après, les nouvelles nous arrivent
par téléphone. Lucas a bien un problème au niveau du coeur et il va être
transféré dans un hôpital situé dans un département voisin du mien, spécialisé
pour ces problèmes afin de subir d'autres examens plus
précis. Il est alors 14H 30. Trois heures plus tard, le cardiologue dudit
hôpital me contacte pour m'informer que Lucas va être transporté le lendemain
matin, par hélicoptère, dans un établissement hospitalier près de Paris pour
subir une opération vitale pour sa survie. Il m'annonce qu'il a une cardiopathie
congénitale qui s'appelle "atrésie pulmonaire à septum ouvert" (APSO) et me
propose très gentiment de venir le voir le lendemain avant son
départ.
C'est dans la détresse, l'anxiété et l'affolement les plus grands
que je fais ma valise et quitte la maternité. Une seule chose compte pour moi :
voir mon bébé demain. Après une nuit sans sommeil, nous partons en voiture pour
le rejoindre. Nous le verrons juste avant son départ, petit bébé de quelques
jours, si fragile et innocent et pourtant déjà si malchanceux dans ce début de
vie. Il partira peu de temps après pour subir sa première intervention
chirurgicale le lendemain. Le cardiologue nous explique que cette malformation
cardiaque nécessitera plusieurs interventions qui se feront en fonction de
l'évolution de Lucas et des événements.
La première intervention
L'intervention a donc lieu le 25 Novembre ...
Lucas n'a que 7 jours. Elle se déroulera très bien. Le temps pour nous de
prendre toutes les dispositions nécessaires, que ce soit au niveau du travail de
mon mari ou pour faire garder nos deux autres enfants et de nous organiser afin
que mon absence les perturbe le moins possible, et mon mari m'emmène rejoindre
Lucas le 28 Novembre. Il passera le week-end avec nous avant de rentrer à la
maison afin de s'occuper de notre petite famille, pour l'instant "coupée en
deux", dans l'attente de notre retour, à moi et Lucas.
Des suites post-opératoires simples, un rétablissement rapide de Lucas et notre sortie de
l'hôpital se fait le 3 Décembre avec, avant de rentrer chez nous, un passage
obligé de quelques jours dans le service du cardiologue de
Lucas, pour une surveillance. Notre retour à la maison et les grandes
retrouvailles de Lucas avec son frère et sa soeur se font le 11
Décembre.
Entre les préparatifs de Noël, les visites régulières de
contrôle de Lucas chez le cardiologue qui se font environ tous les 5 à 6 jours,
les journées paraissent bien courtes. Mais rien n'est comparable à la joie que
nous avons d'être enfin tous les 5 ensemble.
La deuxième intervention
Malheureusement, le répit sera de
courte durée. Lors d'une visite de contrôle le 18 Janvier, le cardiologue trouve
que Lucas est encore bien "bleu" (cyanose) et qu'il va falloir procéder à une
deuxième intervention plus rapidement que prévu (on devait attendre qu'il ait au
moins 8 mois et il n'en a pas 3). Il nous explique que, pour voir précisément où
en est la situation de santé de Lucas, il va lui faire un examen appelé
cathétérisme qui nécessitera une hospitalisation puisqu'il se fait sous
anesthésie générale et que si l'aggravation se confirme, l'opération aura lieu
aussitôt après. Nous voilà de nouveau très inquiets malgré les propos rassurants
du cardiologue.
Mon mari nous emmènera le 3 Février, l'examen se
fera le 4 et confirmera les prévisions du cardiologue. La date pour la seconde
opération ayant été prévue pour le 10 Février, nous serons directement
transférés en ambulance vers l'hôpital en banlieue parisienne le 8 Février. Mais
un contretemps viendra contrarier la programmation hospitalière prévue. Lucas
déclarant une gastro-entérite le 9 Février, l'intervention ne pourra avoir lieu
et nous sommes rapatriés dans le service du cardiologue le 10 avant de rentrer chez nous le 11. Ce
fut, si l'on peut dire, un voyage "pour rien".
Mais des dates sont aussitôt reprogrammées et l'intervention se fera
le 25 Février. Cela ne nous laisse qu'un maigre
répit pour que notre petite famille se retrouve mais nous en
profitons le plus que nous pouvons. Et nous voilà repartis, moi et Lucas, le 22
Février dans le service du cardiologue afin de faire tous les examens pré-opératoires avant notre
nouveau transfert pour la banlieue parisienne. Mais la vie ... ou le destin ne
nous laissant pas toujours faire ce que l'on a décidé quand on l'a décidé, notre
transfert n'aura pas lieu car un bébé en réanimation allant très mal doit se
faire opérer de toute urgence et prend la place de Lucas. Nous voilà donc, après
un deuxième voyage infructueux, de retour chez nous le 25 Février.
Mais cela n'est que "partie remise" puisque nous repartons le 2 Mars, cette fois-ci
directement sur la banlieue parisienne puisque tous les examens pré-opératoires
ont été faits la semaine dernière. La deuxième intervention a donc lieu
le 3 Mars. A 12H 00, il part au bloc opératoire dans les bras d'une infirmière.
Il y en a environ pour 4 heures mais moi je compte 5 heures pour me rassurer !
J'attends dans le service. A 19H 00, toujours pas de nouvelles. Une infirmière
vient me dire qu'il y a un problème avec la pression sanguine de Lucas qui est
beaucoup trop importante. Elle me conseille de retourner à ma chambre d'hôtel et
que le chirurgien me téléphonera dès sa sortie du bloc. Le téléphone ne sonnera
qu'à 23H 30 et le chirurgien m'informera que Lucas est "sur le fil du rasoir",
qu'ils ont fait tout ce qu'ils ont pu et qu'il n'y a plus qu'à attendre. Il
m'est impossible de rester seule dans cette chambre d'hôtel froide et
impersonnelle où j'étouffe dans ma panique alors je vais à l'hôpital voir le
chirurgien qui m'accueille avec toute son équipe. Le simple fait d'avoir ce
contact humain et de trouver une chaleur amicale auprès d'eux, à cet instant
essentiels pour moi, me donnent cette étrange impression d'être protégée ... pas
du danger qui guette Lucas (je suis très consciente de cette menace) ... mais de
l'indifférence, de l'isolement, de la solitude à porter ces si lourds poids que
sont celui de l'angoisse, de la douleur et de la détresse d'une maman pour son
enfant.
La situation est restée la même pendant les jours qui ont suivi.
Je fais mes visites à Lucas en réanimation tous les jours. Je lui parle, je le
touche, je sais qu'il perçoit ma présence, mon odeur, mes paroles, mon amour
pour lui et j'espère que toute cette force que j'essaie de lui transmettre va
lui donner l'envie de se battre. Le chirurgien ayant été dans l'obligation de
lui mettre une hétérogreffe et de le laisser à sternum ouvert pour ses
pressions, essaiera une première fois de refermer son sternum le 8 Mars, sans
succès. Il faudra attendre le 11 Mars pour que le petit coeur de Lucas accepte ce
geste chirurgical.
Puis, les jours passant, tout va progressivement de
mieux en mieux. Il est extubé, n'a plus de sonde ni de drains. Je peux ainsi
avoir une chambre en pédiatrie avec lui le 16 Mars. Mais notre bonheur sera de
courte durée. Le 17, Lucas n'est pas bien. Le 18, le chirurgien pense, après
l'avoir examiné, que le sternum est très certainement désuni suite à une rupture
des fils. Lucas retourne au bloc dans la soirée et refait un séjour en
réanimation où, suite à de la fièvre, on lui découvre une infection (un
staphylocoque) qui sera combattue par l'administration d'antibiotiques. Nous
nous retrouvons en pédiatrie le 21 Mars pour ne plus nous quitter.
Et c'est le 3 Avril que nous sommes enfin rapatriés dans le service du cardiologue.
Nous étions partis normalement pour 6 jours, nous y sommes restés plus d'un
mois ... interminables journées loin de tout ... mais si près de la mort. Le passage
obligé dans le service du cardiologue de Lucas
sera cette fois très court. Après une nuit en observation, le cardiologue nous
laisse rentrer "chez nous".
Nous sommes tous fous de joie de nous
retrouver après une si longue séparation. Notre petite famille essaie de
reprendre une vie "normale" après toutes ces épreuves. Les seules obligations
qu'il nous reste pour Lucas sont les contrôles réguliers à effectuer par le
cardiologue.
La descente aux enfers
Mais nous n'allons malheureusement pas connaître ce
bonheur bien longtemps. Lors d'une visite de contrôle le 20 Avril, le
cardiologue s'aperçoit qu'il y a un rétrécissement anormal à la valve de Lucas,
ce qui occasionne une fuite assez importante. La seule possibilité pour régler
ce problème en évitant une nouvelle opération serait de faire une dilatation
lors d'un cathétérisme interventionnel. Mais pour cet examen plus complexe qu'un
simple cathétérisme, il nous faut retourner à l'hôpital en banlieue
parisienne.
Le 27 Mai, nous repartons donc encore une fois. L'examen a
lieu le lendemain et le résultat est catastrophique. Après que le spécialiste
ait essayé par deux fois, sans succès, de dilater la valve de Lucas, le
chirurgien vient m'annoncer qu'il faut le réopérer avant la fin de l'année. Le
monde s'écroule à mes pieds ; mes espoirs, mes attentes et ma foi en une
éventuelle possibilité de soigner Lucas viennent de s'envoler avec cette
terrible nouvelle. C'est à ce moment que j'ai su, que j'ai ressenti dans ce que
j'avais de plus profond en moi, que tout se passait trop mal depuis la naissance
de Lucas pour que cela finisse bien. Et cette certitude ne me quittera plus.
Nous rentrons le 29 Mai à la maison.
Ces moments merveilleux
Dans le courant du mois de Juin, il nous faut
déterminer une date pour la prochaine intervention. La seule condition que je
formule est que je ne veux pas le faire opérer avant le mois de septembre afin
que mes enfants puissent profiter de leur petit frère pendant les vacances
d'été. Après tout ce que nous avons déjà subi, on peut bien nous accorder cette
faveur. L'opération est donc fixée au 30 Septembre.
Pendant ces trois
mois de délai qui nous avaient été concédés, nous allons connaître un bonheur
inouï et des moments inoubliables avec Lucas. Toujours souriant, c'est un
magnifique bébé qui pousse comme un véritable "champignon" et qui nous
émerveille de ses progrès du haut de ses 7 mois. Il nous sort ses quatre
premières quenottes, est ravi lorsqu'on le met dans son parc, se tient très bien
assis dans sa chaise haute et commence à grignoter tout seul. Début septembre,
il sait faire "bravo", emboîter ses tonneaux en plastique qu'il manie avec une
grande dextérité et tourner méticuleusement les pages des livres avec ses petits
doigts. Mais le temps passe, inexorablement. Les journées, les semaines, les
mois se succèdent sans pitié pour nous. Et voilà le moment tant redouté qui
pointe le bout de son nez !
La troisième et dernière intervention
Le 27 Septembre, nous faisons un aller et
retour chez le cardiologue pour faire les bilans pré-opératoires de Lucas et le 28, nous
partons à nouveau vers la banlieue de la capitale. A notre arrivée, Lucas fait
fureur. Tout le monde trouve qu'il a bien changé (il pèse maintenant 8 kgs et
mesure plus de 70 centimètres) et qu'il est de plus en plus beau. Ils ont droit
à de grands sourires. Le 29, c'est la journée calme avant celle de l'opération.
Lucas est en pleine forme puisqu'il n'est pas embêté par des examens. Moi,
j'essaie de canaliser du mieux possible mon anxiété pour qu'il ne la ressente
pas et de profiter à 200 % de ces derniers instants que nous passons ensemble
avant demain.
Nous voilà arrivés au 30 Septembre, Lucas part au bloc vers
15H 00. Commence alors pour moi cette terrible attente pendant laquelle les
minutes nous paraissent des heures et où on a l'impression que le temps s'est
arrêté. Enfin, vers 20H 00, une infirmière du service de réanimation me
téléphone pour me prévenir que Lucas vient d'arriver dans son service. Je pars
alors pour l'hôpital où le chirurgien m'attend pour me donner des nouvelles et
quelques informations. Il m'explique que l'opération par elle-même s'est bien
déroulée mais qu'il n'a pas eu la possibilité de choisir la réparation qu'il
aurait souhaité réaliser (à savoir laisser la valve), faute de place nécessaire.
Enfin le principal est que la pression artérielle est bonne et que dans
l'ensemble, l'état de Lucas est satisfaisant. Il faut maintenant être patient et
laisser passer la nuit. On m'autorise à aller le voir quelques instants. Je
l'embrasse, lui caresse le front en lui parlant. Je le félicite pour ce qu'il a
déjà fait et l'encourage à continuer.
Le lendemain matin, vers 7H 30, je
téléphone en réanimation pour avoir des nouvelles. On m'informe que cette nuit,
vers 1H 00, Lucas est retourné au bloc pour des saignements mais qu'il est
actuellement revenu en réanimation. Je n'ai qu'une hâte : le revoir cet
après-midi. Vers 12H 30, je reçois un appel téléphonique du chirurgien qui me
dit que Lucas a encore des problèmes avec sa pression artérielle et qu'il est
dans l'obligation de le réopérer afin de lui poser une valve. Une panique totale
m'envahit alors et je me vois revivre la même situation désastreuse d'il y a
quelques mois. Vers 16H 00, les nouvelles sont alarmantes. Un des deux petits
ventricules de Lucas ne veut pas se remettre en marche et il va certainement
falloir le mettre sous assistance de longue durée. Lorsque j'arrive à l'hôpital,
Lucas est encore au bloc. Il n'en sortira qu'une bonne heure plus tard. Je vais
le voir en réanimation et je lui parle, je le caresse, je lui prends sa petite
menotte et lui dis que je suis là avec lui, qu'il n'a pas le droit de me quitter
parce que moi je ne le laisserai jamais. Je ne peux rien faire de plus, je me
sens si impuissante ... il n'y a rien à faire qu'à attendre, attendre et
attendre toujours. La nuit qui suit est une nuit sans sommeil où je reste
allongée sur mon lit les yeux ouverts en espérant un miracle ou en essayant de
me persuader que tout ceci n'est qu'un cauchemar.
A l'aube du 2 octobre,
vers 7H 20, le téléphone sonne ... j'ai peur, tellement peur ... une personne de
l'équipe du bloc opératoire me dit que Lucas a été courageux, qu'il s'est battu
toute la nuit mais que tout est fini. IL M'A QUITTE, JE L'AI PERDU, IL AVAIT 10
MOIS ...
* * * * * * * * * *
Si vous voulez connaître l'histoire
complète de Lucas et savoir comment j'ai vécu (ou plutôt survécu) la première
année qui a suivi son départ, vous trouverez les coordonnées du livre
que j'ai écrit dans le paragraphe VII - "Livres" sur le plan du site. Il s'intitule
"Le Passage d'un Ange ou Le Coeur de Lucas" (Editions des Ecrivains - 2002).
(texte protégé par copyright déclaré et enregistré)
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